entretien avec Bénédicte Heindrichs

Renforcer la coopération avec l'administration publique

Directrice Générale du SPW ARNE

Bénédicte Heindrichs

Bénédicte Heindrichs est licenciée en sciences politiques et administration publique et est détentrice du certificat en management. Elle a développé sa carrière dans différentes instances politiques belges dans les domaines de l’aménagement du territoire, du logement et de l’environnement. Désignée directrice générale de l’Institut Scientifique Public (ISSeP) en 2015 par le gouvernement wallon jusqu’en 2020, elle est actuellement directrice générale du Service public de wallonne Agriculture, Ressources naturelles et Environnement (SPW ARNE).

Pouvez-vous nous parler un peu de vous et du rôle du SPW (Service public de Wallonie) ?

« Je m’appelle Bénédicte Heindrichs et j’ai toujours été fascinée par la beauté du monde. C’est à cause de ça, que j’ai toujours travaillé dans le domaine environnemental. En particulier depuis 4 ans, je suis la directrice générale, au sein du service public wallon, de l’administration compétente pour l’agriculture, l’environnement, la forêt, les ressources naturelles, la nature et le bien être animal. 


Le SPW Agriculture, Ressources naturelles et Environnement garantit la sauvegarde du patrimoine naturel et rural de la Wallonie dans une perspective de développement durable, destinée à garantir aux générations futures des ressources de qualité, indispensables à la vie.  


Concrètement, il encadre et contrôle la gestion des ressources naturelles : air, terre, eau, sous-sol, faune et flore dont elle protège la biodiversité. Il joue un rôle primordial de prévention, surveillance et protection de l’environnement. En ce qui concerne la gestion de l’eau, il gère les cours d’eau non navigables et assure un rôle essentiel dans la gestion des risques d’inondation et la résolution de questions importantes liées au changement climatique. »

Le SPW a un grand nombre de responsabilités en Wallonie. Parmi ces missions, quelles sont celles qui ont un point commun avec les thèmes couverts par JCAR ATRACE (inondations, sécheresses, aménagement du territoire, situations d'urgence, etc.) ?

« Le SPW ARNE que je dirige est directement impliqué dans les différents thèmes couverts par le projet JCAR ATRACE. En effet, un de mes services est responsable de la gestion d’une partie des cours d’eau du réseau hydrographiques wallon, ceux qu’on appelle cours d’eau non navigable de première catégorie selon la nomenclature propre à la Wallonie. Ceux-ci sont par ordre d’importance « hydraulique » situé juste en dessous des cours d’eau navigables géré par nos collègues du SPW MI. Cela n’en représente pas moins de 1900 de km du linéaire de l’ensemble des fleuves et rivières de Wallonie. Nous sommes à ce titre des acteurs importants dans la mise en œuvre et la coordination des plans de gestion des risques d’inondations (PGRI). 


Nous avons également mis en œuvre des programmes d’action sur les rivières (PARIS : programme d’action sur les rivières par une approche intégré et sectorisée) dans lesquels nous avons défini par secteur de cours d’eau des objectifs de gestion intégrés qui tiennent compte des enjeux interdépendants : hydrauliques, économiques mais aussi écologiques et culturels. 


Ma Direction générale n’est pas compétente en matière d’aménagement du territoire. Cependant, nous n’en restons pas moins une partie prenante incontournable car nous sommes appelés à rendre des avis sur des projets d’aménagement du territoire et urbanistiques. Nous sommes aussi associés dans un certain nombre de réalisations de nos collègues du SPW


TLPE comme la participation aux comités de suivi de projets comme le master plan « Vesdre ». 


Si la gestion des situations d’urgence comme des inondations ou des feux de forêts relève de services de secours (sécurité civile, service d’incendie, services médicaux police, défense nationale etc…), nous pouvons y prendre part et apporter toute notre expertise dans les matières que nous gérons. Nous avons développé en interne une procédure qui peut s’appliquer à tous les cas auxquels nous pourrions faire face dans le cadre de nos missions, que ceux-ci entrainent ou non la mise en œuvre des moyens des services de secours. Sur cette procédure générale peuvent se greffer des procédures relevant de matières traitées par un département comme un plan d’urgence en matière de gestion de déchets suite à un événement grave (inondation, tremblement de terre …) ou un plan d’action suite à une pollution accidentelle. »

Les Journées wallonnes de l'eau ont eu lieu au début de cette année. Quels ont été les thèmes les plus importants liés à l'eau, et quels ont été les points les plus importants pour les citoyens ?

« Les Journées Wallonne de l’Eau sont effectivement un rendez-vous incontournable du printemps. Elles sont organisées par les Contrats de rivière et leurs partenaires. L’objectif général de ces journées est de soutenir l’objectif de développement durable n°6 de l’ONU : eau propre et assainissement, pour tous d’ici 2030. Chaque Contrat de Rivière reste toutefois libre du choix des thèmes, qui peuvent être plus spécifiques à la réalité du bassin versant sur lesquels ils travaillent. Plus de 300 activités qui constitue un programme riche, varié et entièrement gratuit, ont été organisées par les 14 contrats de rivière actifs sur l’ensemble de la Wallonie : des visites d’installations liées à l’eau (stations d’épuration, station de production d’eau potable, captages, zone d’extension de crue ou zone d’immersion temporaire), balades Nature autour de sites liés à l’eau, des visites à caractère culturel lié à l’eau (anciens moulins, fontaines, passé industriel lié à l’eau …), des actions de terrain (opérations rivières propres, actions de sauvetage de batraciens, chantiers participatifs  …), des conférences et actions de sensibilisation sur la gestion de l’eau (égouttage et épuration, gestion des eaux pluviales et infiltration, impacts des événements météorologiques extraordinaires et solutions mises en place pour une meilleure résilience, films liés à l’eau …). »

Mme Heindrichs lors du lancement du projet JCAR ATRACE en novembre 2023

“Nous aurons d'autres crises. Si nous n'arrivons pas à anticiper et à gérer ces crises futures, nous serons incapables, même en période normale, de faire face à un monde en constante évolution et qui change extrêmement vite. C'est là que réside la valeur ajoutée des programmes de coopération en matière de connaissances tels que JCAR ATRACE. Grâce à une coopération approfondie entre l'administration publique et les experts en gestion de l'eau au niveau local et régional, nous pouvons être mieux préparés à de tels extrêmes.”

Bénédicte Heindrichs, Directrice Générale du SPW ARNE

La Région wallonne est confrontée à différentes frontières administratives, par exemple en Belgique et avec les pays voisins tels que l'Allemagne et les Pays-Bas. Comment ces frontières affectent-elles le travail du SPW ?

« Le SPW ARNE s’est impliqué de longue date dans la collaboration avec les pays et régions voisins. En effet, depuis la fin des années 1990, la Wallonie participe activement aux travaux des Commissions de la Meuse (CIM) et de l’Escaut (CIE) et dans une moindre mesure du Rhin où la Région a le statut d’observateur. Cette collaboration a permis de nouer des contacts avec les administrations homologues des Pays-Bas, de l’Allemagne, du Grand-Duché de Luxembourg et des régions Flandre et Bruxelles-Capitale. Ces Commissions ont permis aux différentes parties prenantes d’arriver à une vision partagée sur un certain nombre de points de la gestion de l’eau qui revêtent une importance aux delà de leurs frontières. Cette collaboration a permis la réalisation d’objectifs concrets comme la mise en place d’un réseau d’alerte et d’alarme sur les pollutions accidentelles partagé par les partenaires au sein de la CIM et de la CIE ou encore la coordination des différents plans de gestion Directive Cadre sur l’Eau (PGDH) ou inondations (PGRI) sous la forme de plans faîtiers. Je peux aussi citer la convention d’échange de données et de prévisions des crues qui a pleinement pris ses effets en 2017. 


Cette collaboration s’inscrit essentiellement dans un cadre plutôt national ou régional. Le SPW ARNE marque aussi son intérêt pour des projets de collaboration transfrontaliers plus locaux comme le projets Interreg EMFlood Resilience qui s’est terminé en 2023. J’ai également apporté mon soutien à un projet Flood Wisdom qui devrait être déposé auprès des instances Interreg et qui s’inscrit dans la suite d’EMFlood Resilience. 

En 2022 et 2023, le SPW ARNE a rencontré à plusieurs reprises les responsables des administrations locales de gestion de l’eau aux Pays-Bas, le Waterschap Limburg et en Allemagne, le Wasser Verband Eifel-Rur. Ces réunions d’échanges ont permis la concrétisation d’une collaboration locale pour le bassin de la Gueule sous la forme d’un groupe de travail « Etude hydrologique du bassin versant de la Gueule » qui inclut des représentants du SPW en charge des cours d’eau non navigables. » 

Nous constatons que les conditions météorologiques deviennent de plus en plus imprévisibles et extrêmes, avec des sécheresses plus longues ces dernières années et maintenant une année 2024 très humide. Comment le SPW se prépare-t-il à ces circonstances difficiles ?

« Comme tout état membre et régions de l’Europe, la Wallonie s’est dotée de plans de gestion des risques d’inondations (PGRI). Les dernières inondations de 2021 nous ont montré que les aléas d’inondation que nous avions définis devaient être revu à la lumière de celles-ci. Elles ont également entrainé une mise à jour du Plan de Relance de la Wallonie, ce qui a permis de dégager près de 100 millions d’euros pour la réalisation de travaux d’aménagement sur les cours d’eau, pour des appels à projet en rapport avec l’adaptation ou la protection face aux inondations et un droit de tirage pour des travaux ou études pour les communes touchées.  


Afin de pouvoir mieux prévenir les risques futurs d’inondations, le Gouvernement wallon a dégagé un montant de près de 450 millions pour reconstruire certaines parties de cours d’eau non navigables de la manière la plus résiliente, dont des solutions basées sur la nature, en se basant sur les résultats des modélisations hydrauliques dont je viens de parler. 


En matière de sécheresse, la Wallonie s’est dotée d’une stratégie intégrale sécheresse en juillet 2021, coïncidence malheureuse avec les événements dramatiques qui touchaient une partie de la Wallonie au même moment. Cette stratégie repose sur deux piliers : le schéma régional des ressources en eau piloté par la SWDE et auquel nous sommes associés et le dispositif sécheresse du SPW ARNE qui est coordonné par mon administration. Cette stratégie est constituée de 3 grands axes : l’éco-résilience, l’analyse et gestion de la demande et le renforcement et mobilisation de la ressource. Derrière ces mesures et objectifs, plusieurs projets ont été lancés dans le cadre du plan de relance. Ces mesures peuvent aussi être reprises dans d’autres plans comme les plans de gestion des risques d’inondation car les solutions préconisées sont efficaces tant pour le « trop d’eau » que le « trop peu d’eau ». Les solutions « nature based » sont bien évidemment privilégiées. Parmi les projets et les réalisations, j’en relèverai un tout de même et qui concerne l’adaptation de l’agriculture aux changements climatiques. Nous développons un projet pilote dans l’ouest du Hainaut dans un périmètre d’aménagement foncier agricole qui met en avant toute une série de solutions et des emplacements les plus judicieux pour les implanter. Dans les solutions qui peuvent être mise en œuvre, outre des « classiques » comme l’installation de mares, des haies, de bordures rivulaires, de réimplantations de forêts alluviales, je voudrais mettre en avant le concept de ZOGES ou zones de gestion des eaux qui s’apparentent à des zones d’immersion temporaires mais qui remplissent en fait plusieurs usages en fonction des différents niveaux de remplissage prévus : maintien d’eau en permanence dans le niveau le plus bas qui permet un développement de la biodiversité liée à un environnement aquatique, mais qui peut aussi servir de réserve et stockage et un niveau maximal qui sert à l’écrêtage de crue. 


Cette stratégie ne comporte pas que des mesures liées directement à l’eau. J’en prends pour exemple la thématique des feux de forêts. Les sécheresses et canicules associées vont inévitablement renforcer le risque d’incendies dans les milieux naturels. Le Département nature et Forêts s’y prépare en adaptant ses plans précédents qui deviennent obsolètes avec la croissance du risque et s’est doté d’un outil qui sera partagé avec les services de secours avec lesquels nous sommes régulièrement appeler à collaborer et auxquels nous apportons notre expertise de terrain. »

L'une de ces conditions météorologiques extrêmes a été, bien sûr, l'inondation de juillet 2021, qui a entraîné des conséquences dramatiques. Selon vous, quelle pourrait être la valeur ajoutée du programme JCAR ATRACE pour mieux se préparer à de telles conditions extrêmes ?

« Si je relis le document « Research topic inventory, JCAR ATRACE Team, 20 december 2023 » qui reprend les suggestions qui avaient été proposée par les participants wallons lors de l’après-midi de brainstorming lors du Benelux Waterday à Maastricht, je pourrais en reprendre plusieurs. A commencer par la première de la liste à savoir la vulnérabilité de la population aux inondations et l’effet potentiel des mesures préventives. Les premières victimes des inondations ce sont avant tous les citoyens sinistrés. Je l’accompagnerais de la 3 suggestion de la liste à savoir le développement d’outils pour estimer de manière prédictive des dégâts par les inondations pour guider l’action des ménages. »

Avez-vous des suggestions spécifiques pour des sujets/questions de recherche transnationale urgents en plus de ceux que vous avez déjà suggérés lors de la Journée de l'eau du Benelux à Maastricht l'année dernière en novembre ?

« Nous avions déjà suggéré collectivement un grand nombre de sujets de recherche. Si je devais en ajouter un à la liste, ce serait sans doute le développement d’un outil qui permette d’avoir rapidement une cartographie en temps réel des zones qui sont susceptibles d’être inondées en fonction de la prévision des quantités d’eau qui devraient tomber. En effet, lorsqu’on avertit un responsable local d’un risque de montée des eaux, il est plus utile pour lui de savoir la zone qui risque d’être inondée qu’une hauteur de cours d’eau. »

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